Parler de « crise migratoire » n’est pas juste. La crise est celle de l’accueil, celle d’un système qui, la nuit, laisse des hommes, des femmes, parfois des enfants, attendre dans l’indignité, comme des fantômes à nos frontières.
Ils sont là, chaque nuit, et pourtant personne ne les voit. À la lisière de notre monde pressé et éclairé, ils attendent. Le bitume froid de Bruxelles leur sert de lit, la bruine de couverture. Devant les portes closes de l’Office des étrangers, une file se forme dès la tombée du jour. Pas par choix, mais par nécessité. Premier passage obligé pour espérer déposer une demande d’asile. Les places sont comptées. Il faut veiller pour avoir une chance. Attendre dans l’ombre pour exister aux yeux de l’administration. Abdel est toujours en tête de file. « Encore deux heures », souffle-t-il, la voix calme mais tendue. Sous sa capuche trempée, son regard se perd entre inquiétude et espoir. Il n’est pas seul. Autour de lui, des silhouettes se tiennent droites ou affaissées, figures furtives dans la nuit, des présences que la ville évite de voir. Pas de toilettes. Pas d’abri. Juste la pluie, les sacs plastiques, les couvertures de survie. Et ce sentiment glaçant de ne pas exister.
Johanna de Tessières – Photojournaliste © 2025 – Tous droits réservés – Photos non libres de droits